"Marché de l’art - Chapitre 2 - Les grandes foires internationales d’art, une expérience à vivre"
Allez-y au moins une fois, vous voudrez y retourner. Les grandes foires internationales mettent l’art visuel en vitrine de façon unique. L’offre impressionnante, pour ne pas dire étourdissante, se partage habituellement entre l’art contemporain (des années 1960-1970 à aujourd’hui) et l’art moderne (des années 1910 jusque vers 1960). Le phénomène des foires a pris beaucoup d’ampleur depuis quelques années et nécessite un retour en arrière pour mieux saisir ce qui en fait la force d’attraction.
Des tableaux pour le standing
L’art qu’on trouve dans les foires est surtout celui des tableaux. Pourtant, l’art contemporain est beaucoup plus diversifié : performance, art relationnel, vidéo, art numérique, etc. Il faut connaître l’historique des foires d’art pour comprendre pourquoi on y trouve beaucoup d’objets et peu du reste.
Les années 1960-1970 et suivantes ont lancé l’art conceptuel, la performance et d’autres formes d’art dématérialisé, de l’art difficile à montrer et à expliquer en deux minutes. Ces nouveaux types d’art appelant davantage à la réflexion qu’à la contemplation étaient moins attrayants aux yeux des acheteurs potentiels. Pour dire les choses plus directement, ceux qui voulaient acheter de l’art recherchaient des œuvres pouvant s’accrocher à un mur, préférablement de grand format. Cette demande amène les galeristes à prendre sous leur aile des artistes comme Jean-Michel Basquiat, très au goût des courtiers de Wall Street qui croulaient sous l’argent dans les années 1980. Ceux-ci voulaient faire étalage de leur réussite professionnelle en affichant des œuvres frappantes aussi bien par le format que par l’audace du propos, des couleurs et de la composition. Ce désir d’affirmer leur nouveau statut social s’est toutefois doublé de conservatisme dans leur choix du type d’art. Dans la plus pure tradition, ils ont valorisé les grands tableaux d’artistes de renom, comme leurs aînés avaient privilégié ceux des grands maîtres. Cette combinaison tableau-grand format-renom, gagnante depuis des siècles, est encore aujourd’hui la plus recherchée par ceux qui s’intéressent à l’art contemporain. C’est donc là-dessus que les grandes foires misent le plus.
Une offre éphémère
À la demande pour des tableaux s’est greffée la notion d’offre éphémère, la clé absolue du succès des foires. L’idée vient à l’origine d’artistes qui n’étaient représentés par aucune galerie et tentaient par des moyens imaginatifs d’exposer leur art. Faute d’argent, ces irréductibles ont innové en ouvrant des microgaleries dans l’appartement d’un ami et dans d’autres lieux improbables. Ce qui distinguait ces galeries, c’est la durée. Elles exposaient quelques jours à peine avant de disparaître pour de bon. Ces galeries champignons ont eu du succès à une époque où les galeries ayant pignon sur rue fermaient les unes après les autres en Amérique comme en Europe. Les galeristes ont adopté la formule de l’éphémère en se regroupant dans des événements ponctuels. Cette solution incroyablement simple et efficace pour relancer les affaires a donné naissance au phénomène des foires. En clair, les foires créent l’événement en réduisant la fenêtre d’opportunité d’achat à quelques jours. Le phénomène explose au début des années 2000.
Galeries triées sur le volet
Les foires sont devenues des incontournables pour les galeries d’art. Ce sont de grandes fêtes de l’art et de l’argent. Toutes veulent être de la partie, mais le processus de sélection est impitoyable. Les galeries doivent poser leur candidature et le choix des participantes dépend de la renommée des foires auxquelles elles souhaitent s’associer et de leur propre réputation. Les organisateurs des grandes foires ont du pouvoir et ils en profitent en étant extrêmement exigeants. Le coût de participation est prohibitif quand tout est pris en compte : location d’espace, aménagement d’un stand, personnel, préparation et transport des œuvres outre frontière, parfois outre-mer. N’empêche, les galeries les plus argentées sont toutes disposées à payer le prix fort pour obtenir les meilleures places dans les halls d’exposition et établir leur droit d’antériorité sur l’espace occupé d’année en année. Les plus petites veulent juste trouver le moyen d’y participer, quitte à s’accommoder d’être mal situées.
Professionnels de l’art sur place
La multiplication des foires commerciales a entraîné la prolifération de professionnels de l’art. En effet, courtiers privés et conseillers en art écument les foires pour trouver des clients. L’activité de ces professionnels n’étant pas réglementée, ils peuvent être plus difficiles à joindre après coup. La prudence peut donc commander de traiter directement avec les galeristes, car c’est leur sérieux qui a assuré le succès de ces foires. Ces derniers peuvent parler en connaissance de cause des pièces exposées ou des artistes qu’ils représentent et ils ont tout intérêt à jouer les facilitateurs. Après l’admission de la galerie dans le sacro-saint lieu d’exposition, aucune ne veut rater une occasion de vendre une œuvre ou de fidéliser un visiteur. La relation entre un galeriste et un acheteur potentiel occupe une place centrale dans le commerce de l’art. Les bons galeristes souhaitent connaître leurs clients, leur donner le goût de revenir et développer un lien de confiance.
Le calendrier de l’année
Le calendrier des foires les plus établies couvre l’année. Voyager d’une à l’autre est devenu un mode de vie pour les mieux nantis.
- Au début de décembre, il y a la foire Art Basel de Miami, premier rejeton de celle de Bâle. C’est un événement mondain de premier plan avec des expositions, des réceptions, de la musique, du cinéma, de l’architecture et du design.
- À la fin de février, c’est l’ARCO de Madrid, la plus grande foire d’Espagne. Les galeries d’un pays y sont invitées chaque année à participer comme hôtes.
- Au début de mars, les plus grands marchands d’art américains exposent des peintures, sculptures, dessins, estampes et photographies d’artistes de toutes les époques à l’ADAA Art Show de New York. Les profits sont versés à un organisme de solidarité sociale de la ville.
- Au début de mars, il y a l’Armory Show de New York, l’une des plus grandes foires du monde. Elle est largement consacrée à l’art contemporain.
- À la fin de mars, on peut se rendre à la foire Art Basel de Hong Kong, la déclinaison la plus récente de celle de Bâle.
- À la mi-juin, c’est la gigantesque foire Art Basel de Bâle, qui est à l’origine de celles de Miami et de Hong Kong. Surnommée « Les Olympiades du monde de l’art » par le New York Times, elle attire quelque 50 000 collectionneurs d’art du monde entier chaque année. Toute personne qui veut avoir un aperçu global de la crème de l’art doit un jour faire le pèlerinage de Bâle.
- Au début d’octobre, il y a la foire Frieze de Londres, lancée en 2003 par les fondateurs et éditeurs de la revue d’art britannique frieze,
- Et en octobre, Paris nous convie à la FIAC.
De plus petites foires et événements comme SCOPE et NADA gravitent autour de ces quasi-institutions. Leurs programmations sont souvent intégrées à celles des grandes foires lorsque les calendriers coïncident. Ces satellites s’installent à proximité, parfois juste en face de la foire principale, sous chapiteau ou dans des locaux temporaires. Des navettes sont généralement mises à la disposition des visiteurs pour les transporter d’un site à l’autre.
Tous les publics sont les bienvenus
Ce maillage transforme chaque grande foire en centre commercial tentaculaire. Une aubaine pour ceux qui veulent savoir ce qui se passe en temps réel sur la scène de l’art actuel partout dans le monde. Dans ces mégaévénements, les galeries exposent l’art le plus en vue, le plus au diapason de l’offre internationale.
Ces foires sont ouvertes à tous. Elles intéressent les collectionneurs au premier chef, qui veulent y être les premiers pour acheter les meilleurs éléments. Mais elles sont aussi très fréquentées par une foule de curieux, le prix d’entrée étant généralement très abordable. On peut y aller une seule journée, mais un laissez-passer pour plusieurs jours est indispensable si on veut essayer d’en faire le tour. Il ne faut pas hésiter, c’est une occasion en or de voir l’offre de galeries où on n’oserait jamais entrer, de repérer ce qu’on aime, ce qui nous fait réagir et d’aiguiser notre œil de connaisseur.
Head image: Notary, 1983 - Jean-Michel Basquiat